Qu’il s’agisse du marketing, du recrutement, de l’enseignement ou même de la santé, de plus en plus de domaines ont recours à la gamification pour transmettre un savoir précis à un public défini. La forme peut varier mais le fond reste le même : on apprend mieux en jouant. Et avec plus de 38 millions de joueurs rien qu’en France en 2024, l’attractivité de la gamification n’est plus à prouver !
Cependant, un formateur précautionneux pourrait être subitement pris d’un doute : peut-on tout aborder à travers la gamification ? Tous les sujets peuvent-ils intégrer des mécaniques issues du jeu ?
Des doutes quant à la gamification appliquées à tous les sujets
Ces doutes qui viendront assaillir le formateur partiront probablement d’un souci légitime du tact et de la délicatesse requis en fonction du sujet d’apprentissage.
Certains sujets peuvent en effet paraître si sensibles qu’envisager toute forme de gamification pourrait être perçu comme un manque de respect envers les personnes concernées.
- Un jeu peut-il aborder la maladie ?
- Ai-je le droit d’inclure une dimension ludique quand je parle de violences sexuelles et sexistes ?
- Des questions politiques ultra-sensibles peuvent-elles prendre la forme d’un jeu vidéo sans perdre de leur gravité ?
Autant de questions qui feraient rugir l’alarme « Risque réputationnel » dans n’importe quelle entreprise ou institution. Ces hésitations sont tout à fait entendables mais il est largement possible d’aborder des sujets délicats sans pour autant se prendre un retour de flammes.
Jouer est-il forcément synonyme d’irrespect et de légèreté ?
Bien sûr que non. La gamification a prouvé que l’on pouvait être « sérieux » tout en jouant. L’époque où toute forme de ludisme rimait avec légèreté et insouciance est révolue. Si des films, des séries et des bandes-dessinées peuvent aborder des sujets comme le cancer, les violences sexuelles ou le sort des migrants sans faire de faux pas, alors un jeu de société ou un jeu vidéo le peuvent tout autant.
Dans le gaming, de nombreux jeux vidéo ont ouvertement abordé des questions extrêmement sensibles sans pour autant manquer de respect à qui que ce soit. Certains de ces jeux ont même été créés par des personnes directement concernées par la thématique qu’ils abordent : difficile donc de soupçonner une quelconque forme de mépris ou de moquerie.
Quelques exemples pour illustrer ceci :
- Enterre-moi, mon amour : une fiction interactive qui raconte l’émouvante histoire de Nour, une réfugiée syrienne tentant de fuir en Europe. Le joueur suit le voyage de Nour à travers ses échanges de messages et de photos avec son mari, resté en Syrie.
- Wednesdays : un jeu narratif qui aborde ouvertement la question de l’inceste et des violences sexuelles intrafamiliales. À travers les souvenirs fragmentés de Timothée, le joueur reconstitue peu à peu un puzzle le menant à se poser des questions sur le tabou autour de l’inceste alors que près de 10% de la population française est concernée par le sujet.
- Glucozor : un serious game abordant le sujet du diabète et de sa gestion pour les enfants et pré-adolescents. Reprenant le principe des « pet-games » tels que les Tamagochi ou Nintendogs, Glucozor propose de prendre soin d’un adorable petit dinosaure en le nourrissant et en le choyant mais également en surveillant sa glycémie et, si besoin, de procéder à des injections d’insuline. Avec des visuels colorés et une interface intuitive, Glucozor dédramatise la gestion du diabète au quotidien et propose un cadre rassurant pour les jeunes diabétiques.
- Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre : un jeu vidéo sur le Première Guerre Mondiale. Plutôt que de faire incarner un seul côté du conflit, Soldats Inconnus a fait le choix d’un récit à quatre voix où le joueur incarne aussi bien un soldat français, un soldat allemand, une infirmière belge et un soldat américain. Ce jeu délicat et multi-récompensé permet une lecture approfondie et non manichéenne d’un sujet qui aurait pu prêter à polémique.

D’autres exemples peuvent également être trouvés dans des productions plus larges à l’image de Metal Gear Solid ou The Last of Us dont l’histoire s’empare, par moments, de la question des violences sexuelles en temps de guerre ou de crises.
Le joueur comme apprenant actif
Quand il s’agit d’aborder des sujets plus émotionnels, le jeu peut-être d’une aide précieuse. En rendant l’apprenant acteur de sa formation et non plus spectateur, la gamification peut contribuer à renforcer l’apprentissage notamment par l’ajout d’éléments narratifs et d’interaction sociale. L’implication du joueur dans un récit par ses choix et ses actions fait appel à son empathie naturelle et le rend donc un acteur de son expérience et ce, d’autant plus si le scénario en question explore des thématiques plus sensibles, voire taboues.
En bref, le jeu n’a pas nécessairement d’inconvénients intrinsèques qui le rendraient fondamentalement incompatibles avec certains sujets. Il est davantage question du traitement d’un sujet et de la vision de l’auteur que du médium en lui-même : une œuvre évoquant maladroitement les violences sexuelles serait tout aussi mauvaise, qu’elle prenne la forme d’un jeu de rôle, d’une bande dessinée, d’un serious game ou d’un film.
Prendre en compte son public est également une bonne façon de choisir son médium de prédilection : en fonction des apprenants, de leur histoire, de leur profession et de leur milieu, leur sensibilité à la gamification ne sera pas la même, ce qui impliquera de choisir soigneusement la forme de transmission d’un savoir.
S’il est compréhensible d’avoir des doutes quant à l’universalité de la gamification, ce serait une erreur de limiter les sujets qu’elle pourrait aborder. Le jeu et ses mécaniques sont des outils formidables, capables d’explorer n’importe quelle thématique. L’erreur à ne pas commettre ici est de partir du principe que la gamification s’applique de la même manière à tous les sujets : Toute comme on ne forme pas de la même manière en santé qu’en RH, la manière de gamifier varie en fonction des sujets abordés.
Vos maîtres-mots : bon sens, tact et humanité !