On en a parlé précédemment, changer les comportements par le jeu vidéo n’est pas une mince affaire. Pour autant nous comptons déjà à notre actif quelques serious games qui partagent cet objectif : qu’il s’agisse de Smokitten pour aider à arrêter de fumer par le jeu, GlucoZor pour mieux gérer son diabète, Effic’Asthme pour aider les parents à mieux traiter les crises de leurs enfants asthmatiques, WasteblasterZ pour inciter le grand public à acquérir toujours plus d’éco-gestes ou encore En Route ! pour aider les personnes fragiles en difficulté dans leur mobilité, tous partagent des bonnes pratiques communes visant à changer le comportement par le jeu.
Et la bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui on va vous partager notre recette !
1. D’abord une bonne réal’
La première chose absolument fondamentale, c’est la qualité de la réalisation. Ça a l’air évident dit comme ça, mais si on veut pousser un utilisateur à changer de comportement par le jeu, il va falloir qu’il y joue souvent (on y reviendra après). Et pour qu’il ait envie d’y jouer souvent, il faut que le jeu soit vraiment bien réalisé : le graphisme, l’ambiance, l’écriture, les animations et le son doivent être soignés et donner envie, sinon l’utilisateur n’aura pas envie d’y retourner… et on ne pourra rien changer du tout chez lui !
Mais attention : la qualité esthétique n’est pas tout ! Car si le jeu est parfaitement réalisé mais qu’il est trop dur, trop facile, ou tout simplement ennuyeux, on va perdre nos utilisateurs tout aussi rapidement. C’est là que le gameplay, le level design, la progressivité (dans la difficulté mais aussi dans les découvertes, la fréquence d’obtention des récompenses… etc) et le balancing ont un rôle tout aussi important à jouer. D’ailleurs, il est bien plus facile de revenir sur un jeu amusant même s’il n’est pas très beau que sur un jeu magnifique mais ennuyeux à mourir, pas vrai ?
Pour résumer : si le jeu donne du plaisir à notre utilisateur, cela va générer chez lui une vraie motivation intrinsèque, qui est pour nous un des plus puissants vecteurs de changement de comportement qui soit.
C’est une des raisons qui nous pousse à faire du sur-mesure chez DOWiNO : cela nous permet d’être pragmatiques dans nos arbitrages, et de garder la qualité de la réalisation au centre de nos préoccupations, quels que soient les budgets qui nous sont alloués. Et ce n’est pas toujours une mince affaire, mais on aime bien les challenges !
2. S’appuyer sur des modèles scientifiques
Pour réussir à changer un comportement par le jeu, celui-ci doit s’appuyer sur divers modèles scientifiques, et plus précisément sur la psychologie de nos utilisateurs. Les sciences cognitives conjuguées à des modèles d’approches comportementales constituent un arsenal intéressant pour nous permettre d’atteindre nos objectifs.
Pour Smokitten par exemple, nous nous sommes appuyés sur le modèle transthéorique du changement de Prochaska qui est principalement utilisé dans le traitement des addictions. C’est un modèle qu’on aime bien parce qu’il aborde toutes les phases par lesquelles vont passer un sujet avant de parvenir à modifier durablement un comportement addictif (comme par exemple arrêter de fumer). Pour vulgariser, ces phases sont les suivantes :
- Pré-contemplation : le sujet ne voit aucun bénéfice à changer son comportement, qui ne pose pour lui aucun problème à ce stade
- Contemplation : le sujet commence à se dire que ce serait bien qu’il change son comportement, mais il hésite beaucoup car il voit également les désagréments qu’il va subir lors de ce changement (et il peut hésiter trèèèèèès longtemps…)
- Préparation : à ce stade, le sujet se sent prêt à changer de comportement à court-terme, et commence à élaborer un plan d’action (par exemple, diminuer sa consommation dans le cas d’une addiction)
- Action : ça y est, le sujet a commencé son changement de comportement ! C’est un moment qui va être généralement difficile à encaisser, surtout au début. Le soutien des proches et de l’entourage va être primordial lors de cette phase.
- Maintien : le changement de comportement est bien ancré, c’est moins difficile… mais les risques de rechute sont toujours là. Si cette phase est maintenue suffisamment longtemps, il passe à la dernière phase :
- Sortie permanente : hourra ! Le changement de comportement est devenu le nouveau comportement du sujet, et une nouvelle habitude. À ce stade, le simple fait de penser à une cigarette peut occasionner du dégoût chez un ex-fumeur par exemple.
- Rechute : ce n’est pas dramatique car cela peut arriver dans tout changement de comportement. La rechute peut tout à fait faire partie du processus de changement définitif et bon nombre de sujets sont passés par là avant de réussir.
Mais avec ce modèle, on est dans le cas extrême de l’addiction. Et comme nous voulons inciter nos utilisateurs à changer de comportement dans d’autres domaines (comme l’environnement, le développement personnel ou encore la solidarité par exemple), il est intéressant de se pencher sur ce qui créé un changement de comportement en règle général. Le modèle scientifique qui nous a le plus parlé c’est le modèle comportemental de BJ Fogg :
Dans ce modèle, les ingrédients sont toujours les mêmes :
Comportement = Motivation x Aptitude x Déclencheur
Et oui, c’est aussi simple que ça ! Pour changer de comportement il faut donc :
- de la motivation, à savoir les bénéfices que je vais tirer de ce changement (je vais être mieux dans ma peau, je vais faire des économies, je vais résoudre un problème relationnel latent, je vais mieux réussir… etc.) ;
- l’aptitude nécessaire : il faut que ce soit à ma portée, parce que si c’est trop difficile ou trop contraignant je ne vais pas le faire ;
- un déclencheur (plusieurs, c’est encore mieux) : c’est le petit truc qui va me donner envie de refaire ce nouveau comportement régulièrement, jusqu’à ce qu’il s’ancre définitivement pour devenir une habitude. Les notifications sur des applications de bien-être sont typiquement des déclencheurs. Mais une simple alarme ou un rappel peut suffire. On peut aussi se créer des déclencheurs visuels, comme mettre un poster de fruits et légumes de saison dans ma cuisine pour me rappeler d’en manger, ou laisser mes baskets devant la porte pour que je pense à faire mon petit jogging au réveil !
À noter : il suffit qu’il manque un seul de ces ingrédients pour que ça ne fonctionne plus.
Pour donner un exemple très concret, on a pris ce schéma très bien fait sur le site http://www.opoiesis.com/ qui démontre comment permettre à un sujet qui ne fait pas de sport de se mettre à courir régulièrement et de plus en plus longtemps :
C’est assez frappant de voir que la méthode « à petit pas » de Fogg est finalement très présente dans le jeu vidéo.
On l’utilise notamment quand on veut concevoir un tutoriel « babystep » pour permettre à un utilisateur de maîtriser l’interface et le gameplay d’un jeu via une première « mission » très simple et encadrée.
Mais surtout, la méthode de Fogg ressemble étrangement pour nous à la conception d’une bonne progressivité et d’un bon équilibrage pour permettre à un joueur – sans qu’il ne s’en aperçoive – d’aller de plus en plus loin dans un jeu malgré sa difficulté croissante et ses challenges toujours plus nombreux !
Enfin, les récompenses sont également très utiles pour ancrer un changement de comportement : ça tombe bien, on a plein de façons de récompenser les joueurs dans nos jeux.
3. Lier le référentiel du jeu avec celui du joueur
C’est un des ingrédients les plus importants de notre recette : pour qu’un jeu puisse changer le comportement d’un utilisateur, il faut que ce dernier y trouve un maximum d’éléments lui rappelant son propre référentiel car ça va générer encore plus de motivation intrinsèque :
- l’histoire du jeu peut lui rappeler des événements de sa propre histoire
- il peut également se retrouver dans un des personnages du jeu : dans Effic’Asthme, les parents configurent l’enfant virtuel dont ils vont devoir traiter les crises avec les mêmes paramètres (poids, âge) et les mêmes traitements que leur propre enfant (et là ça fait une sacrée motivation parce que si un parent se rate sur l’enfant virtuel, il y a fort à parier qu’il va recommencer jusqu’à ce qu’il y arrive)
- le jeu peut nécessiter de faire des choses dans le réel (comme jouer à un mini-jeu dans Smokitten pour résister à l’envie de fumer une cigarette en attendant le bus par exemple)
- le jeu peut même l’inviter à sortir de chez lui ! D’ailleurs, vous saviez que Pokémon GO a tiré beaucoup de gens de la dépression ? C’est pour ça qu’on s’intéresse beaucoup à la réalité augmentée chez DOWiNO.
- et bien sûr, dans le cadre d’un serious game cela peut être la problématique elle-même : un diabétique va plus facilement trouver de l’intérêt à jouer à GlucoZor par exemple.
Et la réalité virtuelle nous parle beaucoup aussi puisqu’elle va permettre non pas de faire un lien avec le référentiel du joueur, mais de devenir le nouveau référentiel du joueur ! Pas étonnant que cette technologie soit si utilisée pour sensibiliser mais aussi pour soigner (des phobies par exemple) ou pour s’entraîner (dans le militaire oui, on sait… mais aussi dans le médical !)
Enfin, c’est aussi une des raisons pour laquelle le mobile est une de nos plateformes de prédilection : comme on l’a toujours dans la poche, et qu’une application ludique peut nous rappeler de faire des choses via les rappels et les notifications, on a déjà un pont avec le référentiel du joueur en permanence.
4. La mesure d’impact
On en reparlera sûrement très bientôt dans un prochain article, mais dans le cadre du changement de comportement par le jeu, la mesure d’impact est très utile parce qu’elle va nous permettre de savoir très précisément ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans un serious game qui commence à être utilisé… Du coup, on va pouvoir améliorer nos productions, encore et encore, pour les rendre toujours plus efficaces !
Bien sûr, il n’y a pas que les modèles de Prochaska et de Fogg qui sont inspirants pour changer les comportements. Il ne faut pas hésiter à rester en veille sur les sciences humaines pour trouver de nouvelles approches, car on progresse vite à tous les niveaux dans notre compréhension des fonctionnements psychologiques, cognitifs et cérébraux… Et nous on a toujours envie de faire mieux !
Et bon appétit bien sûr !